Le premier site bloqué en France l'est-il encore ?
6/Aug 2017
Ces derniers mois, on a beaucoup parlé du blocage administratif, prévu d’abord dans la loi LOPPSI en 2011 puis dans la loi « anti-terrorisme » de 2014. Il existe en France un autre moyen d’imposer à un fournisseur d’accès à Internet (FAI) de bloquer l’accès à des sites : la voie judiciaire. Revenons sur le premier cas de ce type de blocage.
Une première
Le premier cas de censure d’un site en France n’était pas administratif mais judiciaire. Il s’agissait d’un site web négationniste et antisémite. Une ordonnance de référé du TGI de Paris imposa, le 13 juin 2005, à certains FAI de mettre en œuvre toutes mesures propres à interrompre l’accès à partir du territoire français au contenu du service de communication en ligne hébergé actuellement à l’adresse …. Les FAI concernés par la décision à l’époque étaient :
- Suez Lyonnaise Télécom ;
- Free ;
- Tiscali Accès ;
- France Télécom services ;
- Neuf Télécom ;
- T-Online France ;
- NC Numéricable ;
- AOL France ;
- Renater ;
- Tele 2 France
Pas mal de ces FAI n’existent plus aujourd’hui, soit parce qu’ils ont disparu soit parce qu’ils ont été avalés par un autre FAI. Je n’ai pas de traces de comment le blocage a été mis en œuvre par les FAI à l’époque. La décision du TGI, confirmée en appel puis en cassation leur laisse le choix des armes (« …toutes mesures propres à interrompre l’accès… »). On peut néanmoins supposer que la méthode utilisée était la même que celle employée aujourd’hui pour la censure administrative à savoir une réponse DNS mensongère.
Et aujourd’hui ?
Pour savoir si ce blocage est toujours en place aujourd’hui, nous pouvons nous appuyer sur le réseau des sondes Atlas du RIPE. Ce réseau est composée de sondes hébergées par des volontaires derrière leur accès à Internet. Cela permet de lancer des mesures et d’avoir ainsi de voir le réseau comme si l’on était chez le volontaire.
Ainsi une sonde installée chez Free nous permet de tester la vision d’Internet d’un abonné Free.
Le projet Atlas du RIPE permet de lancer des mesures en sélectionnant des critères. Dans notre cas, nous voulons tester la réponse à une requête DNS sur le domaine bloqué (que je ne vais pas reproduire ici pour ne pas lui faire de pub) sur un échantillon suffisamment large de sondes. Une communauté fournit et maintient des outils pour lancer des mesures en ligne de commande et récupérer les résultats pour les analyser : https://github.com/RIPE-Atlas-Community/ripe-atlas-community-contrib/
./resolve-name.py -r 1000 -c FR -o -v <domaine>
Ici, on demande à lancer la mesure sur 1000 sondes. Seulement 765 sondes renvoient une réponse interprétable :
- 145 sondes obtiennent comme réponse 127.0.0.1 ;
- 620 sondes obtiennent comme réponse l’IP réelle du site.
On voit donc que pour une majorité de sondes, le site est toujours accessible.
Sur les 620 sondes, voilà la répartition du nombre de sondes par opérateur pour les 8 opérateurs les plus fréquents :
Nb sondes | Opérateur |
---|---|
195 | Free (AS12322) |
61 | SFR (AS15557 + AS8228) |
53 | Bouygues Telecom (AS5410) |
42 | OVH (AS35540) |
38 | Orange (AS3215) |
23 | Numéricable (AS21502) |
8 | Renater (AS2200) |
7 | K-Net (AS24904) |
Pour les 145 sondes qui donnent 127.0.0.1 en réponse, et qui mentent donc, conformément à ce qui est demandé par l’ordonnance de 2005, elles sont toutes dans le réseau d’Orange.
Exercice laissé au lecteur : pourquoi 80% des sondes dans le réseau d’Orange mentent et 20% donnent un résultat correct ?
En conclusion
On voit donc qu’à l’exception d’Orange, les principaux FAI français de 2017 ne bloquent pas l’accès à ce site. Au delà des questions évidentes qu’on retrouve lorsque de tels blocages apparaissent (quel impact, facilité de contournement du blocage, etc), il s’en trouve ici de nouvelles :
- quid de l’apparition de nouveaux opérateurs ?
- quid de l’évolution des structures (rachats, etc) ?
- la décision de 2005 est issue d’un référé, utilisé pour faire cesser un trouble/danger immédiat. Pour autant, le site étant toujours en ligne,est-ce que le trouble/danger constaté en 2005 n’est plus d’actualité ?
- quid de la portée d’un tel blocage ? Est-ce que finalement, ça n’est pas réduit à un geste purement symbolique ?
- … je vous laisse trouver d’autres questions dans les commentaires …