Souriez, vous êtes gérés
7/Jan 2016
Article publié dans le numéro 4 (Novembre-Décembre) du bimestriel d’information locale La Trousse Corrézienne.
Le dimanche 27 septembre 2015, dans le cadre de la Fête de la Montagne Limousine, s’est tenue à Tarnac une discussion à propos d’Internet et de la surveillance. Bravant le soleil ardent de l’après-midi, une cinquantaine de personnes se sont massées devant l’ancienne poste pour échanger sur le sujet et tenter d’y voir plus clair, ensemble. Élargissons la discussion.
Pour bien comprendre la situation actuelle concernant la surveillance, qu’elle soit numérique ou non, individuelle ou de masse, il faut commencer par un petit inventaire législatif. Sans être exhaustif, on peut au moins citer des jalons de l’arsenal actuel, à commencer par le fichage, y compris génétique, dans les LSQ, LOPSI et LSI votées de 2001 à 2003. La criminalisation des échanges culturels entre individus était au menu des lois DADVSI et HADOPI en 2005 et 2008. La Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique dite LCEN a mis en place une obligation de conservation des données pour les hébergeurs et fournisseurs d’accès à Internet. Dans la LOPPSI, en 2011, on retrouve pêle-mêle l’augmentation constante des moyens de vidéosurveillance, la mise en place de censure administrative de sites Internet, la pose de mouchards permettant d’enregistrer ce qui se passe sur votre écran d’ordinateur ou ce que vous tapez au clavier, etc. Fin 2013, la loi Terrorisme de Bernard Cazeneuve a prévu l’élargissement de la censure administrative aux sites faisant l’apologie du terrorisme. Administrative, ce qui veut donc dire que la police décide quel site doit être bloqué par les fournisseurs d’accès à Internet, pas un juge. Cela veut dire aussi que la décision est secrète. La liste des sites ainsi bloqués n’est pas publique. Pour l’anecdote, il y aura déjà plusieurs dizaines de sites bloqués par ce dispositif chez les grands FAI commerciaux. Tous ces sites sont acessibles pour les abonnés de l’association corrézienne Ilico, la police ne leur ayant jamais demandé de mettre en œuvre le blocage.
La loi sur le Renseignement, promulguée le 24 juillet 2015, est la dernière d’une lignée mêlant censure et surveillance. On peut situer le début de la série au moment de la loi sur les écoutes administratives de 91, qui avait pour motif d’apporter un cadre juridique à la surveillance après le scandale des écoutes de l’Élysée, créant ainsi une première commission de « contrôle », la CNCIS. On retrouve à l’époque le même argument qu’en 2015 sur la loi Renseignement, à savoir la nécessité de voter une loi protectrice des libertés, et visant à contrôler le travail des services de renseignement. Sur le papier, c’est beau, on signe. La réalité est toute autre. De contrôle, il n’y en a pas. Ces commissions prononcent uniquement des avis et ne peuvent en aucun cas faire cesser une surveillance abusive.
Le tableau est assez sombre, la loi Renseignement légalise l’utilisation de dispositifs intrusifs par les services, comme l’écoute de tous les téléphones mobiles dans un rayon donné, la pose de « boites noires » chez les opérateurs Internet pour détecter des « comportements suspects ». De nombreux recours légaux sont lancés pour faire annuler ces dispositions liberticides, mais cela prendra des mois, voire des années. Heureusement, la voie légale n’est pas la seule manière d’échapper au carcan mis en place. Des outils numériques existent pour se prémunir de la surveillance constante. Ces outils répondent au nom de Tor, OTR ou encore Tails. Ce sont des outils relativement simples à prendre en main, utilisés quotidiennement par des journalistes et dissidents dans des pays en guerre aux quatre coins du monde. Ce sont aussi ces outils qu’a utilisé le lanceur d’alerte Edward Snowden pour révéler l’étendue de la surveillance de masse pratiquée dans l’ombre et l’illégalité par la NSA. Ils servent à dissimuler tout ou partie de nos communications en ligne. D’autres outils permettent de reprendre du contrôle sur nos données personnelles. Il s’agit là d’arrêter de confier son courrier électronique à Google ou sa vie privée à Facebook. Ces services ont bien souvent des alternatives libres proposées par des associations ou des groupes de personnes de confiance, comme Framasoft ou Ilico. Sortir de la centralisation induite par ces géants d’Internet, c’est rendre plus difficile la surveillance de masse. Comme souvent, la recherche d’alternatives peut être un début de réponse.