Premier cas de censure administrative de sites « terroristes » : analyse à chaud
15/Mar 2015
Je viens de tomber sur un tweet de David Thomson, journaliste à RFI et auteur d’un livre sur les français jihadistes. Ce tweet est pour moi le premier signalement de la mise en œuvre de la censure administrative de la loi « anti-terrorisme » (sic) de M. Cazeneuve combattue et dénoncée par de nombreuses organisations parmi lesquelles La Quadrature du net et la Fédération FDN.
Mais cette censure, elle marche comment ?
Constats
Tout d’abord, la photo du tweet de David Thomson montre que son « FAI » est l’opérateur mobile Bouygues Telecom.
=> Bouygues Telecom participe donc à la censure administrative
Ensuite, j’ai une ligne Adsl Free sous la main, testons donc l’accès à ce site en tapant l’adresse dans mon navigateur. Même résultat, j’arrive sur une page du gouvernement expliquant pourquoi l’accès à cette page est bloqué.
=> Free participe également à la censure administrative
Inégalités
On me signale que la censure est en effet également depuis Orange Mobile mais pas sur l’offre Adsl d’OVH par exemple. On a donc la confirmation que tous les fournisseurs d’accès à Internet ne sont pas égaux devant la loi. Certains sont plus égaux que d’autres.
Comment la censure se fait-elle ?
Et bien, on peut remarquer en interrogeant des serveurs de résolution DNS ouverts au public comme ceux de Google ou FDN que l’IP correspondante au domaine bloqué est une IP de l’hébergeur français OVH.
# Chez Google
> dig @8.8.8.8 islamic-news.info +short
37.59.14.72
# Chez FDN
> dig @80.67.169.12 islamic-news.info +short
37.59.14.72
Alors que si on demande à Free par exemple, on obtient une IP bien différente.
# Chez Free
> dig islamic-news.info +short
90.85.16.52
On est donc bien dans ce qui a été décrit dans les débats à l’Assemblée nationale et dans ce qui est indiqué dans le décret d’application de la loi, à savoir une censure par l’utilisation de serveurs DNS dits menteurs. C’est à dire qu’ils ne renvoient pas le résultat correct mais un mensonge tel que demandé par le gouvernement.
Et cette IP contenue dans le mensonge alors ?
Et bien, si on interroge un serveur whois à propos de cette adresse IP, 90.85.16.52, on découvre que le gouvernement demande au FAI de mentir en renvoyant une adresse appartenant à Orange Business Services, la branche Pro d’Orange. Et c’est donc chez Orange Business Services qu’est hébergée la page vers laquelle on arrive quand on est chez un FAI pratiquant la censure gouvernementale.
Mais cette censure, elle se contourne facilement ?!
Oui, cette censure se contourne très facilement. Il suffit d’utiliser Tor ou de changer les serveurs DNS qu’on utilise. L’excellente association nantaise Faimaison explique d’ailleurs comment dé-censurer sa connexion internet en cinq minutes.
Mais du coup, ce site est encore accessible ?
Alors, c’est là que ça se complique. En théorie, oui, il est toujours accessible puisque la censure par DNS imposée par le gouvernement à quelques fournisseurs d’accès ne supprime pas le contenu à la source. Le site existe toujours. À ce propos, il est prévu dans la loi un principe de subsidiarité qui veut que la police s’adresse d’abord à l’hébergeur pour faire supprimer le contenu et que passé un délai de 24h, sans réponse ou sans effet, il puisse ordonner aux FAI de procéder à la censure.
Dans le cas d’espèce, l’hébergeur semble être OVH, un hébergeur français très populaire. En revanche, le site n’est plus accessible, même en contournant le dispositif de censure.
Plusieurs possibilités :
- OVH a réagi en plus de 24h,
- la police n’a pas attendu la fin du délai.
On aura le temps de revenir là-dessus a posteriori. Il y a un élément intéressant derrière ça qui mérite largement un article à part entière.
Et si on cherche ce site dans Google ?
La loi prévoit également un déréférencement par les moteurs de recherche. Il semble que ce site ne soit pas encore déréférencé puisqu’il apparait encore dans les résultats de recherche de Google ainsi que dans le cache du moteur.
Autre particularité : ce site est toujours représenté sur Facebook et sur Twitter à l’heure où j’écris ces lignes.
Une dernière anecdote pour la fin
Le site du gouvernement indique les voies de recours pour contester la décision administrative. Je ne me prononcerais pas à chaud sur le contenu de cette page et des recours offerts. En revanche, ce qui est assez savoureux, c’est la reprise du domaine censuré dans l’adresse de la page signifiant les recours, en l’occurrence islamic-news.info/recours.html.